5.20.2005

L'origine

40 mois, 1200 jours ou un peu plus. Et il y a encore des jours où je me sens fracassée comme à coup de masse, le ventre en miettes et les jambes en coton. La souffrance est tenace, ta mort est contondante. Il n’y a pas tellement d’espace où la perte de toi s’amoindrit, j’ai encore la gorge qui se serre à m’en briser les mâchoires, à me tirer les larmes, à m’en donner le vertige.
40 mois, le temps qui passe, sans toi ; et cette idée, tenace, que tu continues à grandir en parallèle de moi, en nous couvant du regard, avec amour, tendresse, gravité et humour. Les petits événements de ma vie, je suis à chaque fois au bord de te les dire, presque la main sur le téléphone, presque le cœur au bord des yeux quand je croise certains filles, dans la rue, familières familières… La terrible survivance de chair, du souvenir qui se fige en un moment donné. Je n’ai plus un stock infinie d’images mentales de toi. Et ça, c’est tout aussi terrible. Des instantanés que je retrouve à peine, dans une silhouette, dans le sourire de tes sœurs, dans un regard, dans l’odeur d’une peau. Qui se rapprochent tellement, petit à petit, inexorablement, d’un travail d’imagination, de réinvention, bien plus que de mémoire. Ta liberté, ton assurance fragile, ton pouvoir sur les hommes, ta franchise, ton demi-sourire contredit par tes yeux qui se voilent, ton regard attentif, ta curiosité, ta voix quand tu t’énervais, ton rire de fou rire, l’odeur de tes cheveux, tes jambes toutes fines dans ces grosses chaussures, tes doigts plein d’encre de Chine, la peinture sur tes pulls, tes sacs pleins à craquer, ton écriture fine, tremblée, tes blagues idiotes, les mêmes que les miennes, ta confiance en moi, ta main sur ma nuque, ta main dans mes cheveux, ton sourire juste pour moi.
Nous avions le même âge, la même taille, et quelques ambitions communes : être libres, écrire, savoir chanter un jour, aimer passionnément, faire un enfant, revenir au pays souvent, au coin du feu, pour nous raconter nos histoires, boire du vin, et regarder la nuit qui tombe en silence.
C’est long, 40 mois, c’est infiniment long, et inexplicablement court.